LES PROBLÈMES D’UNE ZONE FRONTALIÈRE.
Le cas de Chassenon et de Pressignac,
longtemps écartelés entre Angoumois, Poitou et Limousin.
(suite)


© Toute reproduction totale ou partielle de ces textes est interdite : ces textes sont la propriété exclusive de l'auteur
et ne peuvent êtres utilisés qu’à des fins personnelles d’information.
Toute utilisation à d’autres fins est interdite sans le consentement explicite de l'auteur sous peine de poursuites.






Les réponses qui s’adressent au conseil municipal de Chassenon s’appliquent avec la même équité au conseil municipal de Pressignac. Puisque les deux délibérations, appuyées sur les mêmes raisonnements, émanent des mêmes principes et reconnaissent le même auteur, je m’en rapporte là-dessus à M. le maire de Chassenon (Matthieu Antoine de Courcy), d’après les aveux de M. le maire de Pressignac (Pierre Barrier-Sainte Marthe), chez M. le maire de Chabanais (Rougier), le 10 février dernier.
D’abord on s’étonne que, contre la disposition des arrêtés du 2 pluviôse an IX et 4 juin 1806, une délibération destinée à être mise sous les yeux de l’autorité supérieure soit signée du maire et de l’adjoint qui n’a point entrée au conseil municipal lorsque le maire le préside. Cette observation de peu d’importance n’affaiblira point leurs droits, s’ils en ont de véritables à faire valoir, mais pour les apprécier, discutons-les.

Ils s’appuient :
- Sur l’inconvénient de leur réunion à l’arrondissement de Confolens.
- Sur le passage de la Vienne, la distance et les mauvais chemins qui les séparent de leur chef-lieu.
- Sur la nature de leur sol, sur leurs productions, leur commerce et leur idiome, différences signalées par eux et qui militent, disent-il, en faveur de leur demande.

Le premier motif qu’ils font valoir, se trouve dans l’inconvenance de leur réunion à l’arrondissement de Confolens qui ne fut opérée, selon eux, que par l’intrigue d’un député de ce pays qui siégeait à l’Assemblée Nationale.
Après cette assertion, j’ai dû croire que Rochechouart, Pressignac et Chassenon faisaient autrefois partie du Limousin, et j’ai été bien étonné, en ouvrant le tome Ier de la Coutume d’Angoumois, par Souchet, de trouver, pages 425 et 441, que Chassenon et Pressignac, compris dans la juridiction de la châtellenie de Chabanais, étaient des paroisses de l’Angoumois. Rochechouart, par l’édit de création de l’élection de Confolens, du mois de juillet 1714, la 72e du règne de Louis XIV, fit partie de cette élection pour être à l’avenir, dit l’édit, de la généralité de Poitiers et du ressort de la Cour des Aides de Paris.

L’almanach du Poitou de 1789 présente aussi la même division territoriale. Ainsi Chassenon et Pressignac, même Rochechouart, ne faisaient point partie du Limousin au commencement de nos troubles politiques (la Révolution) et il est probable qu’à l’époque où la France fut scindée en départements, Rochechouart n’aurait point été distrait de Confolens si la famille de Rochechouart n’avait obtenu par faveur qu’il en fut détaché, pour devenir dans la Haute-Vienne chef-lieu d’un arrondissement dont la population et l’étendue parurent alors assez considérable sans lui adjoindre les enclaves de Pressignac et Chassenon, qui restèrent, par la force des choses et par une longue habitude, partie intégrante de l’Angoumois, devenu département de la Charente.
Les signataires disent que Chassenon et Pressignac sont plus rapprochés de Rochechouart que de Confolens . Cette vérité est incontestable. Mais le territoire de la France qu’on divisait en 1790 ne se pétrissait pas comme une boule d’argile et il n’était pas facile de placer les communes rangées dans le même arrondissement à une égale distance de leur circonférence.

Que de communes, je ne dis pas dans le royaume, mais dans notre arrondissement, qui, avec des motifs plus puissants que ceux présentés par Chassenon et Pressignac, ont la sagesse de ne pas réclamer contre un ordre de choses qu’un long espace de temps semble avoir sanctionné. Je sais bien qu’en se réunissant à Rochechouart, Pressignac et Chassenon auraient un peu moins de chemin à faire pour venir à leur chef-lieu, mais dans leur position actuelle ces deux communes touchent la grande route de Clermont à Saintes (actuelle RN 141) et arrivent facilement à Angoulême. Leur percepteur et leur juge de paix sont à leur porte. Tous les jours, elles peuvent correspondre avec Confolens par le pont de Chabanais et, lorsque, par extraordinaire, elles ont des affaires qui les appellent à Confolens, elles peuvent, même l’hiver, y aller et revenir dans la journée.
Pour faire valoir leur réclamation, pourquoi les deux conseils affirment-ils qu’ils sont à trois myriamètres de Confolens, tandis que le tableau des distances donné l’année dernière en exécution de l’article 901 du règlement du 18 juin 1811, fait foi qu’il n’y a , de Confolens à Chassenon que deux myriamètres, et que Pressignac ne compte à peu près que la même distance ?

Pourquoi citer comme un inconvénient le passage de la Vienne, puisqu’il s’effectue sur le beau pont en pierre de Chabanais, et comment oses se plaindre de nos chemins pendant l’hiver, tandis que ceux de Rochechouart sont exécrables même l’été ( !). J’en appelle à la Statistique de la Haute-Vienne, page 535.

Je n’invoque point contre les pétitionnaires les dispositions de l’arrêté du 22 brumaire an XI ainsi conçues :  « Ce n’est pas la carte géologique qui règle les limites entre les départements, mais la loi du 4 mars1790 ». En admettant que cette loi laisse des erreurs à réparer, existent-elles pour des communes intéressantes dans la nature de leur sol, dans ses productions, dans le langage et dans le commerce de leurs habitants ? La négative sortira peut-être des observations suivantes :

Nous ne voyons pas que les productions de Chassenon et Pressignac diffèrent de celles, par exemple, de Chabanais et de Confolens ; nous voyons même que les terres de ces quatre communes soumises à une analyse exacte offriraient peu de variété. L’on trouve à Chassenon et à Pressignac à peu près tout ce que l’on récolte au nord, au midi et à l’ouest de l’arrondissement, et ce n’est pas dans ces deux communes seulement que des propriétés séparées par une haie ne sont en nul rapport entre elles. Cette différence existe dans les plaines de la Beauce, dans les pacages de Normandie, comme dans les champs de Pressignac et dans les prairies de Chassenon.

Le langage est le même dans nos 70 communes, excepté que les paysans qui se rapprochent du Poitou ont conservé un accent et des locutions qui s’éloignent un peu du patois du Limousin qui est celui des sept huitièmes de l’arrondissement.
Les paysans de Pressignac et Chassenon sont logés comme les autres paysans, ils vivent tous de la même manière, leur habillement, leurs chaussures se ressemblent, leurs spéculations s’ouvrent sur les mêmes objets. En restant dans l’enclave de Confolens, dira-t-on à ces communes, Rochechouart vous est fermé, vous ne pouvez plus y aller vendre vos denrées et vos bestiaux ? Non, tous les habitants savent bien que leurs transactions communales ne souffriront pas et que la ligne qui sépare le département de la Charente de celui de la Haute-Vienne n’est pas pour eux la muraille de Chine.

Un inconvénient grave semble naître de cette réclamation, si elle était accueillie : Chabanais, à son tour, proposera sa réunion à Limoges, Brigueil, Saint-Christophe et Montrollet attendent cette décision pour en appuyer leurs prétentions, tout le midi de l’arrondissement prouvera incontestablement que les localités et son intérêt l’appelle dans la circonscription d’Angoulême, Champagne demandera à être incorporé dans l’arrondissement de Ruffec, Alloue et Benest voudront rentrer dans le Poitou. Ainsi l’arrondissement de Confolens s’effacera peu à peu, ou, s’il figure encore sur la carte, ce sera pour demander à être détaché de la Cour Royale de Bordeaux et enclavé dans le ressort de celle de Limoges, et à quitter, en assignant les mêmes motifs que Pressignac et Chassenon, le département de la Charente pour faire partie de celui de la Haute-Vienne.

Si des obstacles physiques s’opposaient à ce que Chassenon et Pressignac continuassent à rester dans la circonscription de Confolens, si des avantages évidents pour leur commune ou leur agriculture devaient résulter de leur agrégation à l’arrondissement de Rochechouart, je serais le premier à la solliciter, mais l’administration doit voir avec une peine extrême des fantaisies d’émigration écoutées sous les plus légers prétextes, des convenances d’un moment conseillées pour déplacer les limites de deux départements, changer le nombre de députés que la Charente a le droit de nommer, affaiblir l’étendue du tribunal de première instance de Confolens, diminuer la juridiction de la Cour Royale de Bordeaux, et invoquer enfin la bonté de Sa Majesté pour faire annuler la décision du 8 février 1817 qui semblait avoir l’autorité de la chose jugée, et pour opérer une distraction de territoire qui ne présente aucune vue réelle d’intérêt public. »



RETOUR