LES PROBLÈMES D’UNE ZONE FRONTALIÈRE.
Le cas de Chassenon et de Pressignac,
longtemps écartelés entre Angoumois, Poitou et Limousin.
(suite)


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Ainsi, pendant neuf mois, chose incroyable, Pressignac eut deux municipalités. Celle de l’enclave du Poitou était formée (mais beaucoup de noms manquent) de Soulat (de Pers) maire, de Lachaumette (de Mandat) et de Pichon (du Bouchet). Le reste de la commune était administré par Dupont de la Serve, maire, par cinq officiers municipaux et douze notables.

Comme prévu, le dimanche après la Saint-Martin, 14 novembre 1790, la population fut rassemblée dans l’église paroissiale, par le curé Deval, afin de procéder au renouvellement, par moitié, de la municipalité. Mais, comme il y avait beaucoup d’absents, l’élection fut reportée au 21, puis au 22 novembre. Ce jour marqua la fin de la sécession de l’enclave du Poitou. Comme Dupont de la Serve démissionna pour raisons de santé , ce fut Arnaud Bigaud qui fut élu maire, et seul maire, de Pressignac !

La tourmente révolutionnaire, puis les guerres de l’Empire firent passer les revendications de rattachement à la Haute-Vienne au second plan, mais elles restaient dans les mémoires…
C’est ainsi que le 7 mai 1812, la municipalité de Chassenon osa adresser à Napoléon Ier cette supplique : « Un membre du conseil a renouvelé la proposition du projet de réunion, depuis si longtemps désirée, de la commune de Chassenon à l’arrondissement de Rochechouart, département de la Haute-Vienne. Il a exposé que la grande majorité de la commune, placée pour ainsi dire sous les murs de la ville de Rochechouart et enclavée ci-devant dans la même généralité du Poitou, en avait été, mal à propos, détachée pour agrandir l’arrondissement de Confolens, double en population et en superficie de celui de Rochechouart, que le bourg de Chassenon n’était qu’à 5 km de distance de Rochechouart, chef-lieu d’arrondissement, tandis qu’il se trouve à trois myriamètres de distance (30km) de Confolens et séparé du chef-lieu d’arrondissement par la rivière de Vienne et par des chemins impraticables neuf mois de l’année, qu’il n’était éloigné de Limoges, siège des autorités supérieures administrative que de trois myriamètres (30 km), tandis qu’il est à six myriamètres (60 km) d’Angoulême, siège de la préfecture, et à vingt myriamètres (200 km) de Bordeaux, siège de la Cour Impériale, que la nature du sol de la commune, ses productions, l’industrie de ses habitants, leur idiome, leurs relations d’affaires et de commerce, leurs habitudes les plus simples et les plus journalières, ont une analogie parfaite avec l’arrondissement de Rochechouart et partant naturellement à cette ville, qu’au contraire, il n’y a aucun rapport de toutes ces choses entre la commune et le reste de la Charente dont le sol est d’une qualité infiniment supérieure et dont l’industrie des habitants s’exerce sur des objets absolument étrangers à la commune, dont il est résulté une charge hors de toute juste proportion, au préjudice de la commune, dans l’assiette de toutes les espèces de contributions de ce département. Les relations entre les diverses autorités locales et celles du chef-lieu, lentes et difficiles, deviendraient plus faciles, plus promptes et moins dispendieuses. Le conseil a été unanimement d’avis qu’il était urgent d’adresser à Sa Majesté l’Empereur et Roi de très humbles supplications. La présente délibération sera transmise à Son Excellence le ministre de l’Intérieur ».

Ni Napoléon ni son ministre ne répondront. Alors pourquoi ne pas renouveler la demande , un peu plus tard, auprès de Louis XVIII ? C’est ce qui fut fait, en compagnie de Pressignac, le 12 mai 1816,dans des termes absolument identiques, et avec ces mêmes arguments. Le ministre de l’Intérieur, cette fois, prit la peine de répondre, le 8 février 1817…par la négative ! Mais Louis XVIII étant mort en 1824, nos deux communes allaient revenir immédiatement à la charge auprès de son successeur Charles X ! La réponse viendra, non pas du ministre, mais du sous-préfet de Confolens, en date du 14 mars 1825. Réponse très détaillée, empreinte cependant d’une certaine méchanceté condescendante, heureusement teintée d’humour, mais qui ne faisait que reprendre une note d’un précédent sous-préfet, datée du 4 juin 1816, et qui semblait ignorer que les parties orientales de nos deux communes avaient fait partie de l’enclave du Poitou. En voici le texte :  « La lettre de Son Excellence le ministre de l’Intérieur, en date du 8 février 1817, que j’ai sous les yeux, ne permettait pas de croire que les conseils municipaux de Chassenon et Pressignac auraient le courage, après huit ans, de ressusciter leurs prétentions et d’occuper la chambre des députés, le ministère de l’Intérieur et l’administration de la Charente de leur vieille demande tendant à détacher leur territoire de l’arrondissement de Confolens pour être réuni à celui de Rochechouart.

En les voyant recommencer leur tentative, j’ai cru qu’un grand désastre avait bouleversé le sol de ces communes ou qu’une inondation pareille à celle du Déluge avait créé des obstacles qui les séparaient d’une manière violente de l’enclave de Confolens. Mais, grâce aux bontés de la Providence, rien n’est changé dans la configuration du territoire, le sol n’a pas tremblé, les chemins qui les conduisent à leur chef-lieu ne sont point coupés par des Abymes, la Vienne qui favorise leurs communications n’a point emporté le pont de Chabanais, aucune montagne ne s’est élevée entre eux et nous, aucune relation vicinale n’est interrompue, aucun des liens qui les attachent à l’arrondissement n’est brisé, et les mêmes considérations qui les firent comprendre en 1790 dans le département de la Charente, qui les obligèrent à y rester en 1817, doivent les y enchaîner irrévocablement en 1825.

Puisque Son Excellence le ministre de l’Intérieur ne prescrit que d’examiner si de nouvelles circonstances rendent les délibérations susceptibles d’être accueillies, après avoir prouvé que l’état physique des communes n’a point changé, que leur topographie n’a subi aucune altération, il suffira, sans doute, de reproduire les considérations qui, en 1817, déterminèrent M. le Préfet de la Charente, le Premier Président, le procureur général de la Cour de Bordeaux et Son Excellence le ministre de l’Intérieur à ne donner aucune suite à la demande de ces communes.




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