10 mai 1944

Un avion britannique s’écrase au Groslaud,
près de Chabanais.



(1ère partie - suite)



11mai 1944 : Ambroise Valeyrie (futur résistant au sein du « maquis Foch » du Confolentais), était un des deux gendarmes de Chabanais mis en faction par son chef devant la carcasse du « Halifax », au Groslaud. Il a laissé une page de souvenirs :

 « Le lendemain (11 mai), vers 9h du matin, alors que mon camarade Blanchard et moi sommes chargés de cette protection, arrive, sans surprise pour nous, un détachement de militaires allemands, sous les ordres d’un officier.
Sans nous adresser la parole, ils se mettent immédiatement en position de combat, dite « en hérisson » et creusent des emplacements de tir. Ce qui indique qu’ils sont venus pour garder l’appareil, en attendant son enlèvement , comme cela se passait en pareil cas.
Dès lors, la situation devient fort inquiétante, d’autant que depuis la veille, nous savons que des résistants vont venir détruire cet appareil, afin qu’il ne puisse être récupéré par l’occupant. C’est donc un combat en perspective entre la résistance et les Allemands ; ensuite des représailles probables envers la population locale.
Notre devoir est, par conséquent, de tout tenter pour éviter un affrontement. Il nous faut persuader les Allemands qu’ils vont être, comme nous d’ailleurs, faits prisonniers par les « terroristes ».
Pour entrer en contact, nous avons remarqué dans l’avion des canots pneumatiques de sauvetage, ce qui sera un excellent sujet de conversation.
Après nous être mis d’accord sur ce que nous allons dire à l’officier allemand (lequel, heureusement, parle le français), nous allons vers lui, l’allure décontractée (en apparence), le saluons, puis lui demandons l’autorisation de prendre un des canots de sauvetage qui se trouvent dans l’avion, pour nous en servir pour la pêche en rivière. C’est immédiatement un non, qui n’admet pas de réplique, mais, pour nous, le contact est pris.
Aussitôt après, le sujet souhaité (la résistance) vient de la bouche de l’officier allemand. Il nous demande s’il y a des « terroristes » dans la région, s’ils sont nombreux. Nous avons ainsi exactement la question que nous voulions nous voir poser.
Nous commençons par dire que les résistants sont partout (en employant, comme les Allemands, le mot « terroristes »), mais insaisissables en raison de leur mobilité permanente ; que nous ne pouvons plus sortir la nuit sans être attaqués ; que même la milice, qui est bien organisée et dont le chef départemental réside à Chabanais, est impuissante devant une telle organisation.
Ecoutant nos propos avec intérêt, nous finissons par lui dire qu’il est de notre devoir de le mettre au courant du danger encouru par son détachement qui, à notre avis, n’est pas en mesure de repousser une éventuelle attaque des « terroristes », lesquels possèdent maintenant des armes automatiques puissantes.
Cet officier, qui a pris très au sérieux ce que nous venions de lui dire, se retire, part immédiatement avec sa voiture et son chauffeur vers Chabanais. Nous apprendrons par la suite qu’il s’est rendu à l’hôtel de la Croix Blanche, lieu fréquenté par les miliciens et les collaborateurs, d’où il a téléphoné à ses chefs, à Angoulême.
De retour, les hommes sont rassemblés, embarquent leur armement et leur matériel, et repartent vers Angoulême, sans nous adresser la moindre parole, ni faire le moindre geste. Qu’importe, nous pouvons faire « ouf » et nous réjouir de notre réussite.
A midi, comme prévu, nous sommes remplacés par des camarades de la brigade de Roumazières. »

L’adjudant-chef Martignon raconte la suite dans son rapport du 13 mai qu’il adresse au chef du gouvernement (Pierre Laval), au préfet, au sous-préfet, aux plus hautes autorités de la gendarmerie et de l’armée, car la situation s’est réellement dégradée pour les gendarmes…

« Le 11 mai courant, vers 18h 15, trois gendarmes de la brigade motorisée et un gendarme de la brigade territoriale de Roumazières, qui assuraient la garde de l’avion anglais ayant fait un atterrissage forcé à Chabanais, le 10 mai, ont été attaqués par une bande du maquis, de 25 à 30 individus, armés de fusils-mitrailleurs.
Utilisant le terrain couvert et entouré d’arbres, les assaillants ont pu s’approcher sans être aperçus et ont cerné les gendarmes qui ont été mis dans l’impossibilité de se défendre. Ils les ont alors désarmés et retenus prisonniers durant une heure. Pendant ce temps, les terroristes ont récupéré certains objets et matériel de l’avion.
On suppose que parmi eux se trouvaient deux occupants de l’avion, car ces deux hommes , bien qu’habillés en civil, connaissaient parfaitement l’appareil et ne montraient aucune hésitation à trouver les objets ou matériel qu’ils voulaient emporter
Les terroristes ont également obligé plusieurs personnes présentes à les aider à récupérer des bandes de cartouches de mitrailleuses.
Après une heure de travail environ, ils ont fait écarter les huit ou dix personnes qu’ils avaient immobilisées non loin de là, et à l ‘aide d’explosifs, ont fait sauter la cabine de pilotage avec le moteur, ainsi que d’autres pièces. Le feu s’est ensuite communiqué à l’avion et en a détruit une autre partie.
D’après les dires de certaines personnes, les assaillants seraient venus à pied , d’autres à bicyclette, et certains en camionnette. Ces derniers de la direction de Pressignac, les autres de la direction de Rochechouart.
Indépendamment des trente qui se trouvaient sur le terrain d’atterrissage, d’autres étaient placés en embuscade à certains points de passage. Plusieurs ont dit qu’ils étaient du maquis de Brigueil, cependant ils sont repartis en direction de Rochechouart.
Le 12 mai, des soldats allemands de la base de Cognac sont venus récupérer les restes de l’appareil, qu’ils ont emmenés. »

Le commandant de la Bastide confirme ces événements et apporte quelques détails supplémentaires :

« Le lendemain, une bande de maquisards, déguisés en gendarmes (fausse information) viennent prendre possession des armes, munitions et diverses choses intéressantes. Ils écartent la foule, s’emparent des containers (erreur, ils avaient été largués) et les évacuent dans la direction de Pressignac par le pont de la Soutière qui est gardé par l’Espagnol Ramon (bras droit de Marc Beaulieu). Ils ont passé la nuit dans le moulin ruiné de Labit (sur la Grêne, près de la Soutière).Les faux gendarmes se retirent quand tout ce qui était intéressant dans l’aéro a passé le pont de la Soutière ».

Ambroise Valeyrie raconte lui aussi, mais plus brièvement, l’intervention des maquisards :

« Vers 14h, un groupe de résistants, après une attaque simulée, procède à la destruction de l’avion par incendie, désarme les gendarmes, afin qu’ils ne puissent être considérés comme complices par la milice et les Allemands ».

© André Berland - 2006


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