Pluralisme de l'opinion.

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  Comment trouver la juste mesure à travers le flot des informations qui déferlent et nous assaillent de toutes parts ? Chacun tire la couverture à soi en s’appropriant ce qui correspond le mieux à sa personnalité ou à ses attentes. Attention, toutefois ! Au-delà d’une certaine limite, il ne faut pas s’égarer : la bien-pensance veille !
    L’argument du « bon sens » cher à nombre de contemporains — taxés avec condescendance de conservateurs —, cet argument-là a été balayé au nom d’une idéologie dégoulinante de bons sentiments et dont se prévalent ses partisans ; des mauvaises langues prétendent que ceux-ci ont des œillères qui ne leur permettent de regarder que dans une seule direction, sans largeur de vue, leur doctrine excluant par principe tout ce qui, de près ou de loin, s’entrelace avec un passé sujet à controverse. C’est là que le bât blesse. Il y a quelque chose de malsain, voire une forme de cynisme, à se draper dans sa dignité, simplement parce qu’il est préférable de ne pas montrer une quelconque accointance avec des idées jugées nauséabondes pour peu qu’elles empiètent sur des certitudes érigées en postulat, certes indéfectibles sur le fond, mais critiquables sur la forme.
    Curieux effet de cette justification tout azimut, les mêmes qui prônent la diversité au sens large sont les premiers à ne pas accepter la diversité d’opinions. Coincés aux entournures dans un costume trop étroit pour leur ego, ils n’acceptent de fait la discussion que dans un cercle restreint, s’autocongratulant avec ceux de leur bord, mais refusant tout débat avec quiconque leur apporterait la contradiction, ce qui va, me semble-t-il à l’encontre de l’idée même de démocratie : « Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie… » écrivait Prévert. Et puisqu’on est dans les citations, mentionnons Voltaire : « Proverbe n’est pas raison ». De sorte que ce qui  est décrété par une majorité, bien qu’elle permette d’asseoir le pouvoir par principe démocratique, n’est pas forcément l’expression de la réalité… Mais la majorité a toujours raison.
    Aujourd’hui, on est plus malheureusement dans la stigmatisation que dans le débat, et si certains ont faussement attribué à Voltaire la maxime « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire… », ça ne justifie pas de la part des élites l’arrogance qu’elles affichent. On est loin de cet état d’esprit ! Non que le siècle des Lumières, comme on veut nous le faire croire, ait été celui de la liberté de penser (il suffit pour cela de feuilleter un livre d’histoire…), mais l’évolution naturelle de la pensée humaine aurait dû permettre une perception sinon sereine du moins respectueuse de l’adversaire. Or il n’en est rien. Qu’on le veuille ou non, c’est d’un rétropédalage idéologique dont il s’agit, comme si l’histoire ne nous enseignait pas les nuances de la pensée et ses singulières interprétations.
    Car en procédant ainsi, on reste entre personnes « éclairées », ça va sans dire, mais dans l’entre-soi, sans qu’aucune contradiction ne vous mette en porte à faux. Fort gênante est l’attitude qui consiste à ne jamais accepter la récusation de ses affirmations : certains, les plus nombreux me semble-t-il, ont pris cette fâcheuse habitude de manier l’insulte et le rejet systématique à l’égard de leurs opposants. L’invective n’est jamais bonne conseillère et l’absolutiste de la libre expression que je suis ne peut que s’insurger contre cet état de fait.
    Chacun s’abrite derrière son quant-à-soi pour conserver ses prérogatives… D’ailleurs, à l’origine, le mot de populisme n’était pas sans noblesse : satisfaire les revendications d’un peuple n’a rien de dépréciatif ; au contraire, c’est la base même de toute démocratie. S’il l’est devenu par la force des choses, c’est par l’utilisation réitérée qui en est faite par les détenteurs de la morale et du savoir. Un terme à différencier de celui de populace qui se raccroche à celui plus péjoratif de moutonnaille, lequel va à l’encontre de la notion de citoyen…
    Ce manichéisme exacerbé entre le camp du « bien » et du « mal » prive ainsi le citoyen lambda de son libre arbitre : quels que soient les arguments de la partie adverse, fondés ou non, ce choix, hostile à l’essence de tout pluralisme, n’est pas à mettre au crédit de ceux qui fustigent par principe tout raisonnement non issu de leur sphère idéologique. Un comportement qui n’est pas à leur honneur…
    Voilà pourquoi je persiste et signe et prétends sans ambiguïté qu’on ne peut asseoir un quelconque pouvoir démocratique en dédaignant tout propos discordant au nom de principes par ailleurs à géométrie variable… Il y a belle lurette que le cynisme est aux commandes et chaque semaine nous livre son cortège d’incohérences auxquelles cette même moutonnaille, abrutie d’informations à sens unique, adhère sans réfléchir. Mais au-delà des grandes lignes qui régissent telle ou telle attitude, il est amusant de constater combien, quand un idéal politique se heurte à la réalité, le choc génère de la casse. Dans ce système où l’absence de sincérité rend l’honnêteté discutable, cela distend la confiance entre le peuple et ses gouvernants. Infatués qu’ils sont de leur fonction, ces derniers ne s’arrêtent guère à ce genre de détail et continuent à cultiver le paradoxe avec la meilleure mauvaise foi du monde. Dans la tour d’ivoire où ils demeurent coupés de la réalité, ils déclament à tout va en assénant des vérités intangibles, mais en se gardant bien de mettre le nez à la fenêtre ! Arguments et principes d’intangibilité dont on se prévaut, certes, mais qui sont autant de remparts qui vous protègent de l’extérieur tout en vous interdisant de pénétrer le quotidien des citoyens.
    Ni plus ni moins qu’une manipulation, quelque chose qui s’assimile à un terrorisme intellectuel. Faut-il répondre par un ostracisme du même genre ? Pour preuve, et malgré ce qu’ont prétendu nos illustres pégagogistes au cours des décennies passées, le niveau intellectuel de certaines catégories de la population s’est considérablement effondré. Une part des Français vote par pur calcul et intérêt personnel, corporatiste, financier, mais la majorité sont des citoyens peu instruits, issus de la « Fabrique du crétin » chère à Brighelli, lobotomisés par un demi-siècle de télé de caniveau, de football et de consumérisme béat, malléable, impressionnable et manipulable à l’infini ; en parallèle avec une amoralité croissante, de vagues notions de littérature ou de continuité historique, mais triées sur le volet et présentées sous un aspect dévalorisant pour ce qui a constitué jadis la grandeur de la France, la richesse de son vocabulaire et de ses expressions… C’est ainsi que dans l’imaginaire populaire, Corneille n’est plus un illustre tragédien du XVIIe, mais un rappeur des temps modernes. On a les idoles qu’on mérite !
    Un lavage de cerveau à grande échelle, un embrigadement idéologique afin que nos décideurs puissent sans peine tirer les ficelles de ridicules pantins. Or, pour faire éclore l’adhésion à un système, la pensée se nourrit de controverses et l’indépendance d’esprit qui en résulte n’existe  qu’à la condition préalable que l’individu ait eu accès à une information plurielle, ce qui, par défaut, n’est plus le cas. « Quand la vérité n’est pas libre… »
   
    Fatalité, paresse et racolage… C’est ainsi qu’entre le « Ferme ta gueule ! » de la dictature et le « Cause toujours ! » de la démocratie, la limite m’apparaît hélas de plus en plus ténue…
   
   

© Jacques Goudeaux - mars 2022

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