[…]
Ils
ne s’étaient pas trompés : les entretiens réalisés par
les policiers avaient eu le mérite de faire bouger les
lignes ; ils avaient écarté les écrans de fumée que les
auteurs du crime — directs ou indirects —
avaient disséminés çà et là pour masquer leur passage. Bien
entendu, la perquisition demandée par voie expresse avec
l’appui du procureur n’avait rien donné chez Dizieux, à
l’exception de la pochette-surprise des photos qu’il s’était
proposé de fournir aux enquêteurs, pour preuve de sa bonne
foi. Sa ligne mise sur écoute, le jeune homme se méfiait, et
ayant vraisemblablement prévenu ses relations de ce danger
potentiel, évitait toute équivoque lors de ses appels.
Enfin, le travail de fourmi des
enquêteurs finit par s’avérer payant : avec
persévérance, en remontant l’historique des communications
téléphoniques lors des semaines précédentes et en épluchant
cette liste, il fut établi qu’un appel — un seul —
concernait le numéro personnel de Delperret. Cette mise en
évidence confirmait ainsi l’intuition des deux collègues et
leur fournissait un début de preuve.
Mais à ce stade de l’enquête, la route
était encore longue. Ils avaient d’un commun accord décidé
de lâcher du lest au patron d’entreprise pour se concentrer
sur Dizieux. Persuadé qu’il était à l’abri de tout soupçon,
Delperret se trouvait à son tour dans le collimateur des
policiers : aucune accusation formelle, évidemment, car
au vu des relations de ce dernier et d’un éventuel
informateur au sein des services de police, il valait mieux
multiplier les précautions pour ne point entraver le
cheminement des enquêteurs.
Vérification faite auprès du Crédit
Lyonnais, ce fut avec un net soulagement que Fabien apprit
que Brégeois n’avait communiqué que son adresse
professionnelle : la jolie Cécile, comme il l’appelait,
n’avait donc pas menti. Le compte de dépôt justifiait
doublement son appellation, car le magistrat avait pour
habitude et de manière intermittente d’y déposer des sommes
relativement modestes, mais qui, cumulées au fil du temps,
lui avaient permis d’amasser un pécule de plusieurs dizaines
de milliers de francs, il est vrai sérieusement amputé par
le retrait que l’on sait. Quant à l’ouverture du compte, on
ne pouvait que spéculer : trésorerie souterraine,
certes, mais dans quel but ? En tout cas, pas
d’autre retrait qui inclinait à penser à l’entretien d’une
maîtresse…
Parmi ses qualités intrinsèques de joueur
impénitent, outre le poker, il fut confirmé que Dizieux
s’adonnait régulièrement au tiercé. Il y misait des sommes
rondelettes qui comme le reste se révélaient
systématiquement infructueuses. À bien y réfléchir, il était
plus que probable que les cinquante mille francs avaient
servi à éponger ses dettes de jeu ; à moins d’un aveu
de sa part, il faudrait mettre une croix dessus.