10 mai 1944

Un avion britannique s’écrase au Groslaud,
près de Chabanais.



(1ère partie - fin)



Dans le numéro 92 du bulletin des Amis du Vieux Confolens, de juin 2006, nous avions raconté dans quelles circonstances nous avions été amenés à nous intéresser au sort des membres de l'équipage du Halifax MAW qui s'était écrasé au Groslaud, près de Chabanais, dans la nuit du 9 au 10 mai 1944.

Le sergent Clark, blessé lors de son parachutage, se constitua prisonnier et ne fut libéré du stalag Luft 7 de Bankau qu'à la fin de la guerre.

L'officier canadien Evans, ainsi que les sous-officiers anglais Jones et Blackett, rejoignirent les maquis de Dordogne et furent rapatriés en Angleterre à partir de l'aérodrome de Limoges, le 28 août 1944.

Les deux autres officiers canadiens, Coldridge et Medland, pris d'abord en charge par les maquis de Pressignac, rejoignirent Paris grâce à d'autres maquis, puis l'Espagne et Gibraltar, d'où ils rentrèrent en Angleterre le 6 septembre 1944.

En 2006, le commandant de bord, le capitaine A.S Coldridge, était encore en vie au Canada. Richard Rose, le britannique qui avait retrouvé une pièce du Halifax sur les bords de la Grêne, avait pu lui adresser un petit morceau de l'avion (cf photo), ce qui lui avait procuré beaucoup d'émotion. Hélas, A.S Coldridge devait décéder quelques années plus tard...


A. S. Coldridge tenant un morceau du Halifax MAW entre ses mains

En 2012, l'ANACR du secteur de Chabanais, dans le cadre de la création du circuit des « Chemins de la Mémoire », installa une stèle commémorative sur la D.170, près du Groslaud, malheureusement entachée d'une erreur sur l'origine du crash : ce ne sont pas des tirs de la DCA nazie, mais une panne de deux des quatre moteurs, qui contraignit l'équipage à abandonner l'avion qui vint s'écraser dans un champ de pommes de terre.
L'inauguration de la stèle eut lieu le 2 avril 2012, en présence d'une nombreuse assistance. (cf photo) Richard Rose avait apporté la pièce du Halifax, André Berland raconta l'histoire de l'avion et de son équipage.

Un ancien mécanicien britannique de Halifax, qui avait effectué 33 missions de bombardement pendant la guerre, était présent, arborant une impressionnante brochette de médailles.


Inauguration de la stèle, près du Groslaud (Chabanais)

Mais personne ne savait alors ce qu'était devenu le quatrième officier canadien, le lieutenant navigateur Donald Alexander Lennie.

Ce n'est que très récemment que Richard Rose a pu entrer en contact, par emails, avec sa petite-fille, Alison Lennie, qui vit à Toronto. Elle lui a communiqué des renseignements et documents très intéressants sur les horribles tortures infligées à son grand-père par la Gestapo et les SS.

Le 30 décembre 1944, un grand journal de Toronto, « The Star Weekly », sous la plume du journaliste Fred Mac Clement, consacrait une pleine page à l'interview de l'officier aviateur D.A Lennie, sous le titre « I longed for death » (J'ai souhaité la mort). C'est cet article, ainsi que ses états de service fournis par l'association des anciens officiers de la RCAF, qui nous ont permis de retracer l'incroyable épopée de notre héros.

Né le 29 juin 1923 dans la région de l'Athabasca (Alberta), il était donc âgé seulement de 21 ans en 1944. Promu lieutenant d'aviation en 1943, il avait été affecté à l'aérodrome de Tempsford, d'où il partit, le 9 mai 1944 à 22 h, avec ses camarades d'équipage anglo-canadiens (cf photo), en tant que navigateur du Halifax MAW, pour une mission de largage de conteneurs vers Brive-la-Gaillarde. Sur le chemin du retour, Lennie confirme que c'est la panne de deux moteurs (et non pas des tirs de DCA), qui contraignit le commandant de bord, capitaine A.S Coldridge, à ordonner d'abandonner l'avion qui perdait de l'altitude et n'était plus qu'à 2000 pieds (moins de 700 mètres) lorsqu'il survola la forêt de Rochechouart.

 Devant un Halifax, à Tempsford. De g. à dr. Lennie, X, Jones

Lennie atterrit sans mal dans les branches d'un arbre, et se hâta d'enterrer son parachute et sa « Mae West » (surnom donné par les Américains à leurs gilets de sauvetage, du nom d'une célèbre actrice de Hollywood aux formes très généreuses!).

Puis, pendant trois jours et trois nuits, il marcha vers le Sud, par des chemins déserts, obtenant un peu de nourriture auprès de quelques paysans.

Le 12 mai, alors qu'il est arrivé en Dordogne, il rencontre un résistant qui l'emmène dans un camp du maquis près de Vitrac, dans la région de Sarlat. Il y reste jusqu'au 28 mai, participant à des expéditions et à des attaques de trains.

Le 29 mai, il accompagne le chef du maquis, son chauffeur et un instituteur d'origine algérienne pour une mission en voiture. Malheureusement, à la sortie d'un virage serré, ils tombent sur une patrouille de Waffen SS, sont fait prisonniers et emmenés dans un village. Lennie est contraint de se déshabiller, et lorsqu'il affirme qu'il est un aviateur canadien, ses gardes lui rient au nez et lui assènent des coups de manche de pioche. On lui rend ses vêtements, mais pas ses chaussures, puis on le conduit, avec ses camarades, en camion, à Cahors, à l'état-major de la Gestapo.

En cours de route, il passe par le village de Freyssinet-le-Gélat (Lot), qui venait juste d'être victime de la barbarie nazie. En effet, le 21 mai, la deuxième division SS Das Reich, qui allait perpétrer plus tard les massacres de Tulle et d'Oradour-sur-Glane, avait investi le village, sous prétexte qu'il devait abriter un groupe de maquisards. Trois femmes avaient été pendues, onze hommes fusillés, le village pillé puis incendié. Lennie précise que ces barbares avaient entre 15 et 20 ans et qu'ils étaient fortement alcoolisés.

Après avoir passé huit jours dans une prison de Cahors, il est transféré, avec ses camarades, dans une prison de Toulouse où sa cellule est tellement exiguë qu'il ne peut se tenir debout. Il couche sur la paille, sans aucun sanitaire, respirant seulement par deux petits trous d'aération.

Un matin, Lennie et ses trois compagnons du maquis, sont interrogés par six membres de la Gestapo. « Qui êtes-vous ? Quel est votre chef ? Quelle était votre mission le jour de votre capture ? Où se trouve votre quartier-général? ». Comme ils refusent de répondre, un soldat écrase les lunettes du chef sur son visage. Puis ils sont emmenés dans une cour et assistent à l'exécution à la mitrailleuse de six patriotes français alignés le long d'un mur !

« Avez-vous changé d'avis ? » leur demandèrent leurs bourreaux. Lennie eut beau montrer qu'il ne parlait pas français et qu'il était un aviateur canadien, ils s'esclaffèrent et dirent qu'il était un agent secret britannique (ce qu'il devait être réellement, en raison de son affectation à Tempsford,  aérodrome d'où partaient les agents de « l'intelligence service », c'est du moins ce que pense sa petite-fille). Ses trois compagnons du maquis eurent alors les mains et les pieds plongés dans l'eau bouillante. Un soldat jeta même un seau à la figure du chef « qui désormais ne parla plus. Il ne le pouvait pas. »

Le matin suivant, Lennie assista encore à la torture de ses camarades qui eurent les mains et les pieds grillés par des charbons brûlants. Puis ce fut son tour : eau bouillante, charbons brûlants, pinces... La douleur était telle qu'il en était engourdi et ne pensait plus à rien. Un clin d'oeil du chef du maquis lui redonna un peu de courage, mais revenu dans sa cellule, il hurla, appelant la mort de ses souhaits !

Cette torture dura encore deux jours, aggravée par l'absence totale de nourriture et de boisson, la jaunisse et la dysenterie (il perdit plus de 30 kg pendant sa détention). Il ne tenait plus debout, lorsque ses tortionnaires l'obligèrent à s'agenouiller sur deux lames de couteaux insérées dans une planche, avant de le suspendre par des anneaux fixés au mur de sa cellule.

Un peu plus tard, il fut traîné dans la cour pour assister à l'exécution de ses trois compagnons, criblés de balles par deux mitrailleuses.

Puis, dans une chambre de tortures, sous ses yeux, trois femmes (deux de 18 ans, une de 35 ans) furent dépouillées de leurs vêtements et plongées dans des baignoires d'eau bouillante puis d'eau glacée. Il entendit leurs hurlements et leurs gémissements quand elles furent traitées aux charbons brûlants. Il ne les revit plus jamais.

Deux jours plus tard, il était transféré au camp de concentration Saint-Michel, près de Toulouse. Il y arriva le 9 août. Son exécution était fixée au 21 août. On lui permit de dicter quelques mots pour avertir sa famille. Il put communiquer avec d'autres prisonniers (maquisards ou aviateurs alliés). Un de ses geôliers lui donna un peu d'alcool et des pansements pour soigner ses plaies qui commençaient à se cicatriser. On lui donna un peu de pain et des vêtements propres.

C'est alors que le 19 août, deux jours avant sa mort programmée, les maquis de Toulouse , dans leur grande offensive de libération de la ville (19 et 20 août), attaquèrent le camp Saint-Michel d'où de nombreux nazis étaient déjà partis, ouvrirent les portes des cellules, laissant quand même 38 morts dans la bataille. Tous les prisonniers s'évadèrent !

D.A Lennie était libre ! Pieds-nus et souffrant horriblement de ses blessures, il réussit à se cacher dans l'arrière-boutique d'un café voisin dont le patron le conduisit, à la nuit tombée, au bord de la Garonne. Là, un petit groupe de résistants le prit en charge, lui donna des vêtements civils, des chaussures et une canne à pêche, ce qui lui permit de passer sans encombres devant une patrouille allemande.

Il fut ensuite hébergé pendant deux semaines dans une grande maison dont la propriétaire était femme d'un officier français. Il y fut soigné par un médecin.

Des résistants lui donnèrent un pistolet et un fusil, et habillé comme un Français, il parcourut les rues de Toulouse où flottaient les drapeaux français, anglais et américains.

Avant de rentrer en Angleterre, un Français le conduisit au bord de la Garonne pour lui montrer les corps de plusieurs soldats allemands, anciens gardes du camp Saint-Michel, qui flottaient à la surface de l'eau.

D' Angleterre, D.A Lennie fut rapatrié au Canada le 10 octobre 1944, dans un triste état physique et moral. Il fut déchargé de tout service militaire en avril 1945, et put reprendre ses études d'ingénieur chimiste à l'Université d'Alberta.


Donald Alexander Lennie

Beaucoup plus tard, en 1980, il se rendit à Toulouse et y rencontra des membres du maquis qui l'avaient libéré. Il resta aussi en relations avec A.S Coldridge qu'il retrouva plusieurs fois au Canada, et avec le sergent E. Jones, autre membre de l'équipage du Halifax MAW qui s'était écrasé au Groslaud, le 10 mai 1944, il y a 70 ans.

Donald Alexander Lennie est décédé le 18 décembre 1991 à Edmonton (Alberta).


© André Berland - 2015


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