Le ruisseau.

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La Soutière - Pressignac - juin 1974

    J'aime à revoir ces lieux de mon regard d'enfant. Comme jadis, le ruisselet chantonne et son murmure intemporel souligne de son empreinte sonore la pesanteur des ans. Ce garçon en culottes courtes qui jouait dans la prairie, au fond du vallon, est-il si différent de l'homme d'aujourd'hui perclus de rhumatismes ?

    Ici, rien n'a changé… ou presque. Seulement, les nécessités de notre époque ont fait disparaître les paysans ou métayers de naguère qui, jour après jour, souvent à la morte-saison, avaient à cœur d'entretenir avec soin les lopins boisés de l'entour, taillant les haies ou coupant les branches mortes qu'ils entassaient en fagots ou en rondins… La fuite en avant de notre glorieuse nation a eu pour corollaire la désaffection de la ruralité. Dans l'improbable quête du bonheur à bas prix, les promesses d'un eldorado urbanisé ont engendré un exode majeur, puis la désertification des campagnes conjuguée à l'agriculture intensive, à coups d'engrais et de pesticides, en ont parachevé le déclin. Les haies n’existent plus. Livrées à elles mêmes, elles ont proliféré jusqu'à se clairsemer en rejets divers, ou se sont étalées en dévorant l'espace. Ici ou là, elles ont cédé la place à des clôtures ou à des barbelés plus tard effondrés, quand les piquets ont fini par pourrir. Les coupes anarchiques ont entraîné la prolifération des ronces avec leur cortège de plantes et d'arbrisseaux dégénérés, s'étouffant les uns les autres en leur quête de lumière.
     Malgré l'anarchie des jachères, les hôtes familiers des bois avoisinants ont doucement abandonné les lieux ; avec la raréfaction des insectes, c'est toute la chaîne alimentaire qui s'est réduite et les oiseaux ont perdu leurs ramages d'alors. Le « Printemps silencieux » de Rachel Carson était hélas prémonitoire…

    Le clapotis de l'eau déchire un à un mes rêves et le flot les emporte en lambeaux dérisoires, éparpillés vers des contrées lointaines où ils disparaîtront à jamais. Peut-être, après tout, le ruisseau n'est-il plus tout à fait le même ! En concordance avec mes états d'âme, il va son cours dolent, recru de lassitude, et ce que je ressentais tout à l'heure comme un frisson de joie n'est plus à présent que la désespérante amertume d'un monde oublié.

  

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