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Les yeux de Gaoh interrogent l’immensité. Ah, s’il pouvait voler !
La part des convictions sur lesquelles il avait forgé ses rêves
s’effondre doucement devant une autre évidence. Car paradoxalement,
maintenant qu’il sait, mille questions l’assaillent, plus pressantes
encore, des questions que jamais auparavant il ne se fût posées ;
quoi qu’il en soit, sa vision de l’univers s’en trouve irrémédiablement
modifiée. Dorénavant, rien ni personne ne pourra infléchir sa volonté
de connaissance et de compréhension.
Une lourde fatigue l’envahit soudain. Contrecoup des
efforts fournis depuis le lever du soleil avec le ventre creux, une
étonnante apathie prend possession de son corps et bientôt de son âme.
Résultat de la longue et pénible ascension, ses jambes tremblotantes
ont du mal à le porter et ses muscles endoloris ne répondent
plus ; l’estomac réclame son dû. Alors, Gaoh s’assoit derrière une
roche, à l’abri du vent, et avec une pensée pour ses camarades qui
n’ont pas osé l’accompagner, s’attarde dans la contemplation de ce
monde inconnu, tout en ouvrant le sac et dévorant à pleines dents la
viande et le pain qu’il a eu la précaution d’emporter dans son
expédition. Ouba patiente en remuant la queue : il sait qu’il aura
sa part du festin parmi les restes d’os, une fois son maître rassasié…
Gaoh soupire d’aise. Comme il se sent mieux,
maintenant ! Néanmoins, la fatigue est toujours là, latente, et
une chape d’indolence alourdit ses membres. Son regard continue à errer
à travers les cimes et le ciel, puis tout oscille et devient
flou : progressivement, le garçon s’enfonce dans l’ouate épaisse
de ses rêves…
Comme les récoltes doivent être belles dans ces
immenses prairies ! Et la terre, ô combien généreuse ! Ces
riantes contrées endurent-elles aussi la neige et le froid ?
Justement, c’est la fraîcheur qui le réveille. Une fraîcheur humide. Il
entrouvre un œil et constate qu’un changement s’est opéré durant son
sommeil. Quelques secondes encore de somnolence et il réalise qu’il ne
doit pas s’attarder : la descente sera longue et semée d’embûches.
Petit à petit, ses pensées se coordonnent et
s’assemblent. Combien y a-t-il de temps qu’il s’est assoupi ?
Sentinelle dévouée, Ouba, couché à ses pieds, ne l’a pas quitté.
Pourtant, par ses légers jappements, le chien manifeste une certaine
impatience. Cette fois, Gaoh ouvre grand les yeux et s’étonne. Plus
rien ne subsiste du paysage, englouti par le brouillard. Est-ce un
nuage passager ? Tout repère est aboli. Est-ce bien par ici qu’il
est arrivé ? Forcément, il doit repartir dans cette direction.
D’ailleurs, les à-pics alentour ne lui laissent pas le choix. Mais
comment retrouver son chemin ? Bien que ceux-ci ressemblent plus à
des plaintes, Ouba redouble de jappements. Il s’arrête un instant,
incline la tête et dresse les oreilles. Gaoh s’arrête, intrigué lui
aussi.
C’est alors qu’un roulement assourdi lui parvient
dont la provenance est incertaine tant il se répercute et déferle à
travers les vallées. […]