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« Les premières manifestations eurent lieu peu de temps après et
avec elles commença le cauchemar du baron de Saint-Gilles. Celui-ci se
plaisait à rester dans la salle haute, près de la cheminée, après que
l’on eut desservi la table où désormais il mangeait seul. Jusque tard
dans la nuit, il s’absorbait devant le feu en ruminant ses sombres
pensées. Or un soir, les gens du château perçurent un vacarme terrible
et des cris en provenance de cette même pièce ; pas des cris
ordinaires, mais des hurlements qui reflétaient une intense frayeur.
Aussitôt, alors qu’on se précipitait pour en découvrir l’origine, il
apparut, tremblant d’émotion, blême d’effroi, le regard fixe, et
bredouillant des mots sans suite.
« Ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’on
en comprit le sens. La Dame Blanche… Étrange et pourtant familière,
elle avait surgi par enchantement dans un angle de la pièce, enveloppée
d’un curieux halo. Dissimulée derrière son voile, elle le regardait en
silence. Depuis combien de temps ? Figé de stupeur, il ne pouvait
accomplir le moindre geste. Il l’avait appelée de son prénom ;
alors le voile s’était entrouvert pour révéler les mèches blondes et
les traits blafards de sa filleule. C’était elle et pourtant elle ne
ressemblait en rien à la douce jeune fille qu’il avait connue.
« Quand même, il était parvenu à se lever ; mais à
mesure qu’il approchait, l’apparition s’éloignait, sans effort, en
glissant sur le sol. Subitement, le visage s’était métamorphosé en un
masque décharné, menaçant, un masque de mort puis le spectre s’était
résorbé dans un renfoncement.
« Il avait saisi son épée et rugissant d’une
fureur incontrôlée en avait frappé l’endroit même où quelques secondes
plus tôt l’apparition venait de se fondre dans le néant. Il avait
frappé et frappé encore jusqu’à l’épuisement. Mais lorsque n’en pouvant
plus il s’était enfin retourné, à l’opposé de la salle, la Dame Blanche
était à nouveau là, impassible, et qui le regardait…»
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