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On arrivait à la limite inférieure du vallon à peu de distance du pont
dont on n’était plus séparés que par un champ de maïs. La troupe, qui
avait partie gagnée, s’y engagea mollement. L’air bruissait avec un
sifflement caractéristique entre les fanes desséchées. Après plus d’une
heure de ruses et d’efforts, les enfants touchaient au but. Il leur
suffisait désormais de continuer dans le prolongement des sillons, bien
à l’abri entre les hautes tiges. Ils n’avaient plus à craindre l’œil
inquisiteur ou innocent qui aurait décelé leur présence. Alors que Guy,
en chef de file, s’apprêtait à franchir au terme du champ les quelques
mètres qui le séparaient de l’objectif final, il fit halte et
brusquement levant la main amorça un mouvement de recul. « Sûr que les
fleurs vont crever ! » prophétisa Popaul. En effet, juste en
contre-haut, sur le bord de la route, Victor, le père Victor, forcené
s’il en fut du divin breuvage, compissait un pied de mauve avec une
surprenante délectation. Tout absorbé qu’il était par sa délicate
opération, avait-il suspecté quelque chose d’inhabituel ? Avait-il
remarqué un frissonnement insolite à la surface des longues
feuilles ? Il paracheva l’égouttage sur un bord de braguette,
éructa négligemment, puis ayant remballé l’outil sans grande
précaution, avec la sûreté relative que lui conférait une journée déjà
bien entamée, il s’engagea, intrigué mais valeureux afin de voir de
quoi il retournait. Enjambant le talus, il parvint à la lisière du maïs
puis s’immobilisa, transi d’effroi : de toute évidence arrivait-il
à discerner les formes diffuses tapies dans l’enfilade des sillons.
Alors, mû par on ne sait quel élan, le grand s’avança sublime et
martial en sa tenue de combattant, et solennel déclara :
— On est des guérilleros, on est contre l’armée
régulière. Alors tu nous a pas vus, tu nous connais pas, sinon…
Joignant le geste à la parole, il fit avec l’index
un signe expressif au travers de la gorge. Pierre, resté en retrait et
officiant en second, en écartant les bras saisit de part et d’autre une
tige de maïs et se mit à l’agiter avec frénésie, pour faire nombre,
bientôt reprit en écho par ses redoutables compères. L’autre, bouche
bée, les yeux exorbités, rentrant la tête, déglutit péniblement et se
mit à balbutier :
— Non, non, ne me faites rien, je vous ai pas vus, je vous connais pas…
Puis, en un clin d’œil, de faire demi-tour et avec une étonnante
souplesse, les bras en l’air en signe de reddition, de franchir d’un
bond le talus de la route, de pédaler en toute hâte pour démarrer la
Mobylette. Dans la fumée bleutée de son engin pétaradant, on le vit
disparaître répétant cette fois un ton au-dessus et la main gauche
encore levée : « Je vous ai pas vus, je vous connais pas… »
cependant que les garçons, littéralement écroulés, d’un rire
inextinguible clôturaient triomphalement leur expédition. […]