L'orphelin de jamais.
Première partie : Les plaies de l'aurore
.

© Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.




Extrait 8

[…] On arrivait à la limite inférieure du vallon à peu de distance du pont dont on n’était plus séparés que par un champ de maïs. La troupe, qui avait partie gagnée, s’y engagea mollement. L’air bruissait avec un sifflement caractéristique entre les fanes desséchées. Après plus d’une heure de ruses et d’efforts, les enfants touchaient au but. Il leur suffisait désormais de continuer dans le prolongement des sillons, bien à l’abri entre les hautes tiges. Ils n’avaient plus à craindre l’œil inquisiteur ou innocent qui aurait décelé leur présence. Alors que Guy, en chef de file, s’apprêtait à franchir au terme du champ les quelques mètres qui le séparaient de l’objectif final, il fit halte et brusquement levant la main amorça un mouvement de recul. « Sûr que les fleurs vont crever ! » prophétisa Popaul. En effet, juste en contre-haut, sur le bord de la route, Victor, le père Victor, forcené s’il en fut du divin breuvage, compissait un pied de mauve avec une surprenante délectation. Tout absorbé qu’il était par sa délicate opération, avait-il suspecté quelque chose d’inhabituel ? Avait-il remarqué un frissonnement insolite à la surface des longues feuilles ? Il paracheva l’égouttage sur un bord de braguette, éructa négligemment, puis ayant remballé l’outil sans grande précaution, avec la sûreté relative que lui conférait une journée déjà bien entamée, il s’engagea, intrigué mais valeureux afin de voir de quoi il retournait. Enjambant le talus, il parvint à la lisière du maïs puis s’immobilisa, transi d’effroi : de toute évidence arrivait-il à discerner les formes diffuses tapies dans l’enfilade des sillons. Alors, mû par on ne sait quel élan, le grand s’avança sublime et martial en sa tenue de combattant, et solennel déclara :
    — On est des guérilleros, on est contre l’armée régulière. Alors tu nous a pas vus, tu nous connais pas, sinon…
    Joignant le geste à la parole, il fit avec l’index un signe expressif au travers de la gorge. Pierre, resté en retrait et officiant en second, en écartant les bras saisit de part et d’autre une tige de maïs et se mit à l’agiter avec frénésie, pour faire nombre, bientôt reprit en écho par ses redoutables compères. L’autre, bouche bée, les yeux exorbités, rentrant la tête, déglutit péniblement et se mit à balbutier :
    — Non, non, ne me faites rien, je vous ai pas vus, je vous connais pas…
  Puis, en un clin d’œil, de faire demi-tour et avec une étonnante souplesse, les bras en l’air en signe de reddition, de franchir d’un bond le talus de la route, de pédaler en toute hâte pour démarrer la Mobylette. Dans la fumée bleutée de son engin pétaradant, on le vit disparaître répétant cette fois un ton au-dessus et la main gauche encore levée : « Je vous ai pas vus, je vous connais pas… » cependant que les garçons, littéralement écroulés, d’un rire inextinguible clôturaient triomphalement leur expédition. […]

RETOUR